En Europe, 20% des adolescents souffrent d’un trouble mental (d’après l’OMS), un enjeu important que nous ne pouvons pas ignorer. Mais, malgré les chiffres et les analyses, comment la santé mentale est-elle perçue par nous, les adolescents ? Les réseaux sociaux font pleinement partie de nos sources d’informations, mais comment la santé mentale y est-elle traitée ?
Différentes façons de prendre la parole
Les jeunes s’expriment de manière humoristique, en reprenant des tendances ou encore en sensibilisant aux symptômes et aux faces cachées de ces troubles. Ces témoignages touchent leur cible, puisqu’ils cumulent des milliers voire des millions de vues (en bas à gauche k pour milliers et M pour millions).

“moi arrivant à mon rdv chez le psy en lui disant ‘ça va’ alors que y’a encore 5 min je me demandais si fallait que je prenne le bus ou alors que je me le prennes”
Source: https://vm.tiktok.com/ZGebch6KP/

« La réalité de la dépression »
Source: https://vm.tiktok.com/ZGebcM7kc/
Mais cette déconstruction des tabous par les jeunes n’est pas contrôlée et l’humour laisse place à la glamourisation de certains troubles ou certaines pratiques. Comme celle qui est faite du « cutting », soit l’automutilation (scarification, brûlure…) beaucoup évoquée sur TikTok et présentée comme un refuge. Ces pratiques sont mises en scène à travers des tendances ancrées dans une esthétique positive, l’une d’entre elle étant, l’esthétique “coquette” qui est montrée comme quelque chose de girly, positif, et communautaire pour les filles et est représentée par un nœud rose. On va donc glamouriser l’automutilation en plaçant ce petit signe sur la vidéo comme si c’était quelque chose d’anodin.

On voit aussi des publicités de marques qui vendent des produits inspirés de ces troubles. Par exemple, “UNI/VERE PARFUMERIE” vend des parfums inspirés des troubles obsessionnels, troubles alimentaires et troubles compulsifs. Ces vidéos ne sont pas toujours les plus vues mais elles restent un risque pour les jeunes adolescents qui y sont exposés. Cela participe à la hausse des hospitalisations dues aux gestes auto-infligés qui ont augmenté de plus de 63% chez les filles de 10 à 14 ans depuis 2015 (DREES, 2024).
Mais malgré une majorité d’adolescents et de jeunes adultes actifs sur les réseaux sociaux, ils ne sont pas les seuls à prendre la parole. Bien que moins visionnés, des psychologues essaient d’eux même de faire entendre un point de vue professionnel.
Les professionnels
En Angleterre, Dr. Julie réalise des vidéos sur TikTok qui sont vues par ses 4,7 millions d’abonnés. En France, c’est Delphine.py, elle aussi psychologue, qui se donne comme mission de “dédramatiser la psychologie”.
Beaucoup d’autres psychologues prennent la parole de manière spontanée et se plient au jeu des réseaux sociaux en essayant de s’adapter aux tendances. Seulement, la plupart ne font pas autant de vues que le Dr.Julie. Sur les plateformes, les codes sont simples. On veut une vitrine. On veut quelque chose d’esthétique qui accroche vite et auquel on peut s’identifier. On privilégie la forme au fond. La qualité visuelle des professionnels qui n’ont pas forcément le bon éclairage ou montage peut expliquer l’écart d’audience.

Réseaux et influenceurs
Enfin, comment parler des réseaux sociaux sans parler de leurs représentants. Si la jeunesse semble manquer de porte-paroles de leur âge, ces dernières années des jeunes célébrités en pleine connaissance des codes des réseaux jouent ce rôle. Lena Situations, influenceuse française de 26 ans reconnue à l’international, parle souvent de l’anxiété dont elle souffre au quotidien et parle même de son hospitalisation suite à un ulcère accentué par le stress en 2023. En Angleterre, Madeline Argy, 24 ans influenceuse, parle de ses troubles alimentaires, de son anxiété et de sa dépression. Ce sont donc des personnalités connues du grand public et jeunes qui prennent la parole et décident d’agir virtuellement mais pas que. En effet, Marine LB, 26 ans youtubeuse, aussi touchée par un trouble d’anxiété, n’agit pas seulement sur les réseaux mais dans la réalité. La jeune créatrice a créé des « safe places », notamment dans des événements très connus comme le festival de musique Lollapalooza. Ces « safe places » sont des « espaces créés pour toutes les personnes sensibles aux sujets de la santé mentale en festival et qui ressentiraient le besoin de faire une pause », déclare le compte Twitter du festival.
Les sujets
Les réseaux reflètent bien souvent la réalité. Ainsi, là où la sensibilisation au harcèlement scolaire est massive par l’éducation nationale dans la réalité (programme, interventions…), les utilisateurs y sont aussi beaucoup exposés virtuellement. Par exemple, avec la campagne réalisée par l’équipe masculine de football française a marqué les esprits, non pas pour son message mais pour la mauvaise interprétation des joueurs engendrant des tendances qui reprennent des extraits de la campagne. Mais l’important étant de faire parler, la mission est réussie et plus de gens sont exposés, par sa dérive humoristique, au harcèlement.
Un autre sujet semble aussi commun aux jeunes sur les réseaux sociaux, c’est celui de la pression scolaire. C’est le facteur majeur de l’anxiété chez les adolescents selon le quotidien Sud Ouest.
Les limites
Les réseaux sociaux sont loin d’être parfaits, leurs dérives impactent le traitement du sujet.
Afin de booster le contenu, les plateformes mettent en place la promulgation de hashtags. Ainsi, on se sert des troubles mentaux et de leurs causes pour promouvoir une esthétique de vidéo ou de vie, comme par exemple avec le hashtag « toxic study motivation ».

De plus, de nombreuses vidéos ne sont pas réalisées par des professionnels, ce qui participe donc à la propagation de fausses informations promulguant des auto-diagnostics des troubles mentaux erronés. Avec ces systèmes de filtres et d’algorithmes, un autre problème apparaît : si on ne s’y intéresse pas, on ne le voit pas, et au contraire, on peut finir submergé par toutes ces informations et créer une bulle de négativité.
Ainsi, la population masculine est moins sensibilisée sur les réseaux. D’après les enquêtes de la DREES, on compte en 2023 environ 2 000 garçons hospitalisés contre 10 000 filles au même âge pour des raisons de gestes auto-infligés. Il suffit de taper « troubles mentaux » sur TikTok pour se rendre compte d’une gestion différente des troubles. Environ 1 vidéo sur 7 sur ce sujet est créée par un homme.
Mais les garçons sont-ils vraiment moins touchés ?
Et bien pas tant que ça, on a simplement remarqué des agissements différents entre filles et garçons souffrant de troubles. Selon une étude de Place des Sciences, leurs troubles se manifestent par « l’irritabilité, voire une certaine tension ou agressivité dans les relations interpersonnelles ». Ce serait pour apaiser ces tensions dont ils n’ont pas toujours conscience que les hommes seraient amenés à consommer plus de substances addictives et donc plus sensibles aux addictions. Mais ça, sur les réseaux comme dans la vraie vie, c’est très peu voire pas du tout expliqué aux jeunes adolescents.
Pour conclure, les réseaux sociaux, qui vendent des formats courts et accrocheurs, laissent de côté la complexité du sujet et la nuance, et n’atteignent finalement pas la partie de la population qui a le plus besoin de cette sensibilisation.
Article écrit par Alexis, 16 ans
Sources
Hazo, J.-B., Pirard, P., Jollant, F., & Vuagnat, A. (2024). Hospitalisations pour geste auto-infligé : une progression inédite chez les adolescentes et les jeunes femmes en 2021 et 2022. DREES, Études et Résultats, (n° 1300). https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/240516_ERHospiGestesAutoInfliges.
Sud Ouest. (2024, 30 janvier). Près d’un adolescent sur deux touché par l’anxiété, selon une nouvelle étude. https://www.sudouest.fr/sante/pres-d-un-adolescent-sur-deux-touche-par-l-anxiete-selon-une-nouvelle-etude-18360647.php?csnt=190c66738e6
ONU. (2021, 17 novembre). Santé mentale des adolescents. https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/adolescent-mental-health
Worms-Ehrminger, M. (2023, mars 4). Santé mentale des hommes : les garçons pleurent aussi. Place des Sciences. https://placedessciences.fr/blog/2023/03/04/les-garcons-pleurent/